La stratégie dessinée dès 2009 s’est avérée payante

Il y a sept ans, Banque Havilland commençait timidement son activité sur les ruines de la banque islandaise Kaupthing. Aujourd’hui, le groupe s’est étendu dans plusieurs pays, à partir du Grand-Duché, et vient de prendre pied en Suisse. La stratégie dessinée dès 2009 s’est avérée payante et la banque affiche plus de 10 milliards d’euros d’actifs clients.

Banque Havilland a connu, ces derniers mois, une certaine boulimie dans son expansion. Cette stratégie est-elle amenée à durer?

Jean-François Willems: «Nous allons vraisemblablement désormais nous concentrer sur les implantations acquises ces dernières années, ce qui n’exclut évidemment pas l’un ou l’autre rachat de portefeuille pour consolider notre présence sur certains marchés. Mais nous n’avons fait que suivre la stratégie et la feuille de route présentées lorsque nous avons commencé nos activités en 2009.

Il y avait évidemment une nécessité absolue d’adopter une telle stratégie, car il y avait beaucoup de parties prenantes dans la première phase de la restructuration, que ce soit les États belge et luxembourgeois, la Banque centrale européenne au travers de la BCL ou l’AGDL (l’Association pour la garantie des dépôts, Luxembourg, remplacée depuis la loi du 18 décembre 2015 par le Fonds de garantie des dépôts Luxembourg, ndlr). Nous avions dû mettre un plan de bataille très précis sur la table.

Avez-vous le sentiment d’avoir été visionnaire?

«Nous avions, en tous les cas, à cette époque, la certitude que le basculement vers la transparence de la fiscalité était inéluctable. C’était juste une question de temps. Nous avons donc pris la gageure de construire un groupe bancaire en anticipant ce changement et en nous positionnant directement sur cette clientèle HNWI et UHNWI qui fait tant rêver, tout en ciblant une clientèle plus internationale que ce que n’était alors la clientèle typique des établissements luxembourgeois.

Nous n’avons pas voulu commencer en nous disant que nous allions faire comme les autres et voir ensuite comment nous évoluerions. À partir de là, nous avons dû développer une plateforme pour s’occuper de ces clients. Nous ne pensions pas forcément la mettre en place aussi rapidement, mais nous avons aussi été aidés par les conditions de marché qui ont fait que des groupes bancaires ont pris des décisions de recentrage sur des marchés cibles ou des activités précises, ce qui a libéré des opportunités d’acquisition.

Bien sûr, nous n’avons pas acquis toutes les banques qui nous ont été présentées… Nous avons privilégié des entités correspondant à des marchés cibles ou des implémentations géographiques pour servir ces marchés cibles. Aujourd’hui, nous affichons environ 10 milliards d’euros d’actifs clients.

L’Asie et le Moyen-Orient ne figurent pas vraiment sur la carte de votre présence internationale. N’est-ce qu’une question de temps?

«C’est vrai que l’Asie manque à notre ouverture géographique. Il s’agit d’un marché un peu plus complexe, soumis à d’autres fondamentaux. Il n’est pas exclu que nous nous y développions, mais cela passera par une philosophie un peu différente et prendra un peu plus de temps.

Pour ce qui est du Moyen-Orient, nous disposons d’un bureau de représentation à Dubaï, ce qui est suffisant pour toucher les investisseurs locaux ou ceux qui sont expatriés là-bas. Cela nous permet de leur proposer des solutions pour placer leurs avoirs vers le Luxembourg, la Suisse, le Royaume-Uni ou Monaco.

Comment une entité de votre taille – près de 120 personnes au Luxembourg en incluant l’intégration, en juin, des salariés de Banco Popolare – parvient-elle à lutter dans la cour des grands, surtout en tenant compte de toutes les contraintes réglementaires pesantes?

«Il y a, aujourd’hui, plusieurs bouleversements qui impactent le marché bancaire, et pas uniquement au Luxembourg. Nous vivons en effet dans un environnement où il y a de plus en plus de besoins réglementaires et de nouvelles contraintes dans la façon d’agencer les activités d’une banque. Les coûts fixes sont de plus en plus élevés et c’est une véritable course contre la montre qui s’engage pour des entités de notre échelle. Il était important d’arriver à une taille critique nous permettant d’amortir au maximum ces coûts.

Avez-vous mesuré de manière concrète l’impact réglementaire sur vos chiffres?

«C’est difficile, dans la mesure où nous avons en grande partie fait appel à des consultants externes. Il faut bien voir que les départements Legal ou Compliance des grands groupes bancaires sont, à eux seuls, plus grands que toute notre banque! Cela nous procure cependant un avantage, car il est plus compliqué pour les gros établissements de la Place d’adapter leur façon de travailler. De notre côté, nous pouvons compenser la lourdeur de ces contraintes par une plus grande flexibilité. Dans la mesure où nous sommes encore en train de bâtir, autant que ce soit fait avec des fondations solides et en étant dans la catégorie des bons élèves.

Le fait de ne pas avoir eu, justement, à réapprendre le métier de banque privée, mais d’avoir commencé vos activités directement avec une vision claire, constitue-t-il la base du succès qui est le vôtre?

«Je pense qu’il s’agit d’une combinaison de facteurs internes à la banque et liés au marché. Nous avons eu la chance d’avoir une équipe de personnes très qualifiées et motivées qui ont considéré cette start-up bancaire avec beaucoup de curiosité et d’excitation. Cela nous a beaucoup aidés.

Nous avons aussi un actionnaire qui a les moyens de ses ambitions. Il vient de réinjecter quelque 40 millions d’euros dans le capital social afin de permettre l’acquisition de Banque Pasche en Suisse. Cela montre à quel point il s’engage pour soutenir la croissance de la banque.

Tous les ingrédients étaient donc là dès le départ: l’idée, les compétences et un actionnaire fort. Tout s’est ensuite accéléré et les circonstances nous ont donné raison et nous ont confortés dans l’idée de travailler très en amont sur la notion de transparence fiscale.

Au final, nous sommes là où nous voulions être, parfois en ayant pris des raccourcis, avec des conditions de marché qui ont fait que nous les avons pris plus vite. Mais nous avons fait tout ce que nous avions dit que nous ferions.

Entre la Suisse et le Luxembourg, le cœur de l’actionnaire, David Rowland, a longtemps balancé avant qu’il ne choisisse finalement le Grand-Duché, notamment pour la rapidité d’établissement. La banque aurait-elle pu se développer de la même manière en Suisse?

«Non. On ne peut que se féliciter d’avoir opté pour le Luxembourg et on ne peut que constater que, malgré les périodes de turbulence et des taux d’intérêt qui restent à des planchers historiquement bas, la Place s’en est plutôt bien tirée de façon générale.

On ne peut pas mener une politique européenne depuis la Suisse, ce qui n’empêche que ça reste une plateforme incontournable. C’est pour ça que nous y sommes désormais aussi, car il demeure une certaine typologie de clientèle que l’on attire plus facilement en Suisse qu’au Luxembourg. Commencer par la Suisse avant de rayonner ailleurs aurait été beaucoup plus compliqué. En nous établissant en Suisse, nous nous donnons les moyens de franchir un palier supplémentaire dans notre croissance.

Presque huit ans après la débâcle de la banque islandaise Kaupthing, dont Havilland a repris les activités, reste-t-il encore des séquelles de ce lourd passé?

«Je peux affirmer que non. Je le remarque, d’une part, au travers des discussions que nous avons avec les régulateurs des différents pays où nous avons développé nos activités et auprès de qui nous devons montrer patte blanche, en Suisse peut-être un peu plus qu’ailleurs, même. Nous le constatons aussi, d’autre part, lors de nos entretiens pour les recrutements de nouveaux collaborateurs. Clairement, la référence à ce passé islandais n’est même plus dans les discussions. La page est définitivement tournée.

Qu’est-ce qui aujourd’hui pourrait menacer votre mouvement de croissance?

«Plutôt que de menace, je parlerais de gageure. La banque a grandi de façon très spectaculaire. N’oublions pas que peu de temps après le lancement de nos activités, nous avons dû nous restructurer et après deux plans sociaux, nous n’étions plus qu’une quarantaine d’employés en 2011. C’est évidemment tout à fait différent de gérer et de faire fonctionner une banque de 40 personnes à Luxembourg, avec un simple bureau de représentation à Londres et une microstructure à Monaco, comme cela était alors le cas, comparé à un groupe, aujourd’hui, de 250 personnes, présent dans neuf localisations à travers le monde et à des endroits comme Moscou, Dubaï, Monaco, les Bahamas ou encore la Suisse qui ont chacun leurs spécificités. C’est évidemment pour ces particularités que nous y sommes aussi, mais c’est un palier important à franchir, car cela représente autant de façons différentes de faire le même métier.

Et sur quoi comptez-vous, au contraire, vous appuyer pour continuer à croître?

«Notre absence en Suisse nous a freinés dans notre développement commercial. Il se trouve que le processus d’obtention de licence a pris plus de temps que nous le pensions. Mais le 7 juin (le jour de l’interview, ndlr), à 11h21, la procédure devant le notaire à Genève a définitivement abouti. Banque Havilland Suisse existe officiellement depuis, avec une trentaine de personnes dans notre filiale à Genève et une dizaine d’autres à Zurich, dans une succursale de cette filiale. C’est important pour nous d’être présents dans ces deux endroits, car la typologie des clients y est différente. Cela représente pour nous un vrai potentiel de croissance.

Comptez-vous également travailler sur une plus grande visibilité au Luxembourg? Havilland n’y est pas vraiment connue…

«Je pars du principe qu’il faut d’abord établir une certaine légitimité au niveau des affaires. Aujourd’hui, il est vrai qu’avec près de 120 employés au Luxembourg et plus de 10 milliards d’euros d’actifs, notre évolution se voit. Cela se remarque aussi dans nos processus de recrutement. Il est toujours aussi difficile de trouver des collaborateurs au profil pointu, mais aujourd’hui, nous recevons bien plus de candidatures, spontanées ou en réponse à des offres, comparé à il y a quelques années lorsque nous avions encore du mal à nous présenter.

Il y a cinq ou six ans, on nous prenait pour de doux rêveurs. Nous avons montré que nous étions dans le vrai. Toutefois, il est vrai que je regrette un peu que les médias locaux ne parlent pratiquement pas d’une banque luxembourgeoise, établie à l’international avec son siège au Luxembourg et qui réalise une acquisition en Suisse, ce qui, à ma connaissance, n’a pas dû se produire très souvent… En revanche, paradoxalement, nous avons eu une très belle couverture de notre développement sur le site de CNN…

Cela dit, notre visibilité augmente petit à petit. Mais peut-être avons-nous aussi, au début, fait preuve d’un petit complexe d’infériorité par rapport à cette histoire passée qu’il ne fallait pas remuer. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Et cet effort de relations publiques va être intensifié. Il faut aussi dire qu’avec notre expansion internationale, de nouveaux clients arrivent avec des profils qui sont aussi nouveaux et auprès de qui nous devrons également être présents.»

Expansion
La patience suisse

C’est le 7 juin à 11h21 que Banque Havilland Suisse est officiellement née. Issue du rachat de Banque Pasche, cette implantation helvétique se fait via une filiale à Genève et une succursale de cette filiale à Zurich. « C’est important pour nous d’être présents dans ces deux endroits, car la typologie des clients y est différente. Cela représente pour nous un vrai potentiel de croissance », assure M. Willems, persuadé que l’absence du groupe en Suisse a freiné le développement commercial du groupe. « Mais le processus d’obtention de licence a pris plus de temps que nous le pensions. »

(source: PaperJam)